Amelia López. Córdoba, Argentine

Photo credit: Thomas Klann – Copyright CSC Audiovisivi

Lorsqu’à Cordoba, en 1985, avec la Pastorale de l’Eglise catholique, j’ai participé à l’organisation du premier Congrès national de la jeunesse qui a rassemblé 120 000 garçons et filles de toute l’Argentine sous la devise “Construisons ensemble un pays de frères et de sœurs”, notre pays sortait de décennies de dictature : 30 000 disparus, une nuit profonde… Comme beaucoup d’autres jeunes, j’ai ressenti le désir de tourner la page. C’était à nous de guérir ces blessures profondes et j’ai réalisé que la politique était un moyen élevé d’exprimer ma passion et de transformer la réalité. 

J’ai fait mes premiers pas en politique dans des organisations professionnelles intermédiaires alors que le climat démocratique refleurissait dans le pays ; non sans difficulté, bien sûr, en tant que jeune et en tant que femme. J’ai travaillé dans le domaine de l’éducation et de la santé. Après quelque temps, j’ai été embauchée par le ministère de l’Éducation nationale et, comme d’autres personnes du mouvement des Focolari y travaillaient également, un lien fort s’est créé entre nous, qui nous a permis de partager notre parcours professionnel jour après jour. La nouvelle que Chiara Lubich avait rassemblé des hommes politiques du monde entier dans un mouvement international au cours de ces mêmes mois nous a également donné un élan.

J’avais commencé à servir dans un parti de ma province, Córdoba, à divers titres ; quelques années plus tard, j’ai été nommé ministre de l’Éducation de la province. Il y avait des problèmes importants à résoudre et il fallait le faire avec prudence et fermeté, mais aussi avec empathie, ce qui était un défi difficile, je dirais, si je n’avais pas cherché l’inspiration dans un principe politique aussi décisif que la fraternité. Je me suis dit que chaque décision ouvrait ou fermait une porte, la possibilité pour beaucoup d’obtenir ou non le droit d’étudier et de se former. J’ai constamment cherché à concilier les intérêts en jeu, d’autant plus lorsqu’ils étaient contradictoires, et à responsabiliser avant tout ceux qui étaient dans la classe tous les jours, les enseignants, les étudiants…

C’est cette expérience qui a conduit à mon élection à la Chambre des députés. Le travail législatif a été un nouveau terrain d’entraînement : apprendre à choisir le dialogue, mais aussi à être en désaccord tout en respectant les positions des opposants, accepter le lent processus de construction d’un consensus sur des lois fondamentales comme celles de l’éducation nationale, écouter les citoyens…

L’exercice du pouvoir dans une perspective de service m’a fait prendre conscience des multiples facettes de l’action politique, même de la douleur, avec l’inertie de l’appareil, les pressions. La confrontation permanente, le soutien et même les corrections de ceux qui partageaient mes idéaux ont été fondamentaux.

Il y a cinq ans, le Parlement de Cordoue m’a élu, avec le vote du parti au pouvoir et de l’opposition, Défenseur des droits de l’enfant et de l’adolescent, une institution prévue par la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant pour garantir et promouvoir l’accès des enfants et des adolescents à leurs droits fondamentaux, en prévenant les violations et en surveillant les politiques publiques. Il y a deux mois, j’ai été réélue pour la deuxième fois. C’est une responsabilité passionnante que de donner une voix à ces jeunes citoyens, en mettant en place des outils et des ressources pour qu’ils puissent réellement participer.

Les problèmes de la société contemporaine ont un impact dramatique sur eux, et la vision de la politique centrée sur les adultes est un obstacle majeur aux objectifs fixés dans les traités internationaux. La maltraitance sous toutes ses formes, la pauvreté multidimensionnelle qui les touche, les conflits familiaux, les addictions, la violence numérique, la migration forcée… C’est un scénario qui pèse sur l’histoire de tant d’enfants et d’adolescents, qui met leur vie en danger dans le présent et dans l’avenir.

Parmi les premières expériences où les enfants et les jeunes ont été protagonistes, avec un dialogue effectif entre les générations et avec les institutions politiques des villes, je me souviens des “dés de la paix” et des “tables de quartier”. Par le biais de jeux et de moments artistiques, ils ont exprimé des idées et des engagements concrets, tandis que les enseignants, les parents et les chefs de quartier s’engageaient avec eux. Aujourd’hui, dans deux villes, le “dé” est exposé publiquement pour nous rappeler que la politique est la maison de la paix et que les villes que nous construisons à l’échelle des enfants et des jeunes ont plus de chances de devenir les villes de tous. Je pense pouvoir dire qu’il s’agit d’un nouveau modèle de gouvernance qui fait son chemin avec un pacte de citoyenneté inclusive, générant des espaces et des outils réellement démocratiques.

Les droits de la petite enfance sont l’un des principaux sujets de plaidoyer politique, surtout dans la situation actuelle d’isolement causée par la pandémie. Des outils de suivi et d’apprentissage collectif existent déjà, mais nous avions besoin d’un pas en avant, d’un programme stratégique qui engage toute la province. C’est pourquoi nous avons lancé un processus participatif pour identifier les problèmes les plus urgents et définir des objectifs et des actions coordonnées. Il s’agit d’une nouvelle expérience de travail en réseau, et donc de coresponsabilité, qui implique aujourd’hui l’organe législatif et l’exécutif provincial, les représentants des organisations nationales, la société civile, le monde universitaire et les organisations professionnelles.

La coopération qui a été mise en place, en dépassant les différentes visions idéologiques, est mieux à même de répondre aux problèmes tant quotidiens que structurels, et désormais la stratégie implique également les maires au niveau local, afin qu’aucun enfant ou famille ne soit laissé seul face aux difficultés. 

Il est clair que nous devons faire face et résoudre les préjugés institutionnels, les tensions et les jalousies qui ne peuvent être absents lorsque l’on travaille sur un projet innovant et complexe. Ce travail d’approfondissement de nos relations est une tâche sans fin, mais il nous guide pour trouver des réponses plus souples, plus diversifiées, et pour faire place à la voix de tous les citoyens, qui doivent être les véritables sujets d’une politique fraternelle. 

Quand les difficultés se font plus cruelles, je me demande si je n’ai pas été naïve… mais je reviens alors à mon choix initial, à cette grande passion qui m’a fait rêver de construire un pays de frères et de sœurs : il y a eu des succès et des erreurs, mais il y a toujours une forte conviction, celle que j’ai vue en Chiara. Dans sa vie, j’ai vu qu’il est possible d’assumer la douleur des autres et de la porter ensemble, selon les possibilités que nous avons, mais sans renoncer.

 

Cette expérience a été présentée lors de la convention internationale CO-GOVERNANCE corresponsabilità nelle città oggi, 17-20 janvier 2019.

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